06/02/2023
  • Marquer les rétines
  • Se rendre lisible
  • Véhiculer un message

Ce vert ! Qui n’a pas été décontenancé.e par la couleur vive des packs de Tata Harper quand elle lance sa marque en 2010 dans un secteur encore figé dans des normes classiques. Avec ses produits de soins naturels, fabriqués dans sa ferme du Vermont, l’Américaine est bien décidée à faire bouger le marché du bio et du luxe. On connaît la success story qui suit, et le vert de s’imposer en dehors des gammes pour peaux grasses auxquelles il était assigné.

Casser les codes, c’est aussi la démarche d’Emily Weiss lorsqu’elle présente son label Glossier en 2014, avec ce « milliennial pink« , un rose comme un câlin, qui nous dit de nous aimer comme on est. Ces marques ont ouvert la voie à une nouvelle approche du design des produits cosmétiques, où la couleur remplace les longs discours.

« Avec les réseaux sociaux et les changements de mode de communication, plus personne ne prend le temps de lire beaucoup d’informations, l’impact doit donc être instantané. Or, c’est prouvé, le cerveau répond plus facilement à la couleur qu’à des mots, l’identification est plus immédiate« , analyse Sarah Balcon, experte beauté pour le cabinet de tendances Carlin.

Marquer les rétines

Avec ses jolis flacons déclinés dans des nuances de vert pomme, la jeune marque Ulé, dont les actifs végétaux sont issus d’une ferme verticale, s’inscrit dans la lignée de Tata Harper. « Au début, nous voulions des couleurs plus diverses mais nous avons fait des tests avec un groupe de trois cents personnes – famille, amis, amis d’amis – et ça ne collait pas avec l’image de naturalité et de fraîcheur que l’on voulait véhiculer, raconte Sandrine Henrie, cofondatrice de la marque. Nous avons donc choisi une déclinaison de verts, plutôt vifs car nous souhaitions aussi exprimer la joie de vivre. »

Oser la variété de couleurs, c’est ce qu’ont fait Pauline Laurent et Flore des Robert avec La Bonne Brosse. « Cet objet si intime qu’est une brosse à cheveux a le droit, voire le devoir, d’être beau, parce que remettre de la beauté dans le quotidien va avec l’idée de durabilité. On investit dans un objet qui apporte de la joie et qui dure dans le temps. Pour cela, on a essayé de se démarquer des codes esthétiques très fonctionnels et hygiénistes, majoritairement utilisés dans le soin du cheveu, avec un manche torsadé – en matériau écologique – dans une palette de couleurs inattendues, bleu encre, jaune safran, rose lilas, vert sauge… Deux marques nous ont inspirées : Rimowa, par sa réussite à avoir défonctionnalisé et rendu désirable une valise ; Jacquemus, pour sa capacité à utiliser la couleur et à faire exister ses produits sur les réseaux sociaux », détaille Pauline Laurent.

Cette réflexion sur la couleur comme outil pour marquer les rétines a été au cœur du renouveau de la marque Lierac. Avec ses plus de 40 ans, cet emblème de la pharmacie se cherchait une seconde jeunesse et c’est en s’habillant de tons pastel qu’elle a réussi à toucher une nouvelle clientèle. « Toutes les gammes n’ont pas encore été relancées mais déjà on capte des consommatrices plus jeunes, certaines qui ne connaissaient même pas les produits. Les anciennes couleurs des packs manquaient d’élégance et de modernité. Nous sommes une marque médicale, il fallait retrouver une certaine sobriété, notamment à travers un rose nude, doux et féminin », confie Cécile Vidal, directrice marketing Lierac.

Mettant l’accent sur le « self-care« , le cocooning, les pastels doux et frais sont devenus en quelques années de nouveaux classiques cosmétiques, mais la tendance s’oriente aujourd’hui vers un impact chromatique plus fort encore. « On voit arriver des couleurs moins connotées féminines, des tons plus acidulés, plus vifs, plus osés, ou carrément des effets multicolores, notamment dans le maquillage, adoptés par des marques qui expriment une liberté en matière de genre », remarque Sarah Balcon.

S’inscrivent dans cette mouvance le vert de Tata Harper, décidément visionnaire, ou celui d’Humanrace, la marque de Pharrell Williams. Parmi les tons qui devraient s’imposer à l’avenir, le jaune intense est en bonne position. « C’est une couleur à haute visibilité et très ouverte car elle n’est pas associée traditionnellement à une fonction et elle n’appartient pas à un genre en particulier », poursuit Sarah Balcon.

Se rendre lisible

Dans les codes associés à la notion d’unigenre, l’épure reste une valeur sûre. Ainsi, les flacons ambrés des produits Aesop n’ont pas perdu de leur pouvoir d’attraction, bien au contraire. Ironie de l’histoire, la quête esthétique n’était pas au cœur de la démarche de la marque lorsqu’elle s’est lancée en 1987, avec l’idée d’aller droit à l’essentiel.

« Notre intention a toujours été simple : apporter calme et ordre dans les salles de bains et garantir la qualité du contenu. Les récipients doivent être fonctionnels, minimalistes et humbles. Dix ans après nos débuts, en 1997, des bandes noires ont été adoptées comme moyen de privilégier sur l’étiquette les informations importantes, telles que la catégorie du produit. Il s’agissait d’un accident : une assistante administrative surlignait un texte à l’écran en noir pour se l’écrire. Dennis, qui l’a observée, lui a demandé de le conserver et de l’imprimer de cette façon », raconte-t-on chez Aesop.

Parmi les dignes héritières de cette sobriété, on pense à la marque suisse de savons éco-responsables Soeder, fondée à Zürich en 2013 par un couple d’origine suédoise, Hanna et Johan Olzon-Åkerström. L’option du verre ambré, pour protéger au mieux les produits, marqué d’inscriptions blanches s’est imposé aux fondateurs, tous deux issus du milieu du design : « Pour nous, le design doit être éternel. Notre impression blanche sur fond brun est un motif lisible à travers lequel nous communiquons les informations nécessaires. Nous ne voulions rien de plus que cela, c’est la fonctionnalité qui nous a conduits au design, plutôt que des critères visuels. »

Un peu comme les vêtements basiques, conçus en belles matières et bien coupés, ces packagings fonctionnels au chic intemporel se sont imposés dans le quotidien comme une marque d’engagement « anti-fast-beauty« . Une démarche que l’on retrouve chez The Ordinary et Typology, dont les packs comme les formules, souvent mono-ingrédients, conjuguent efficacité et économie de moyens. « Cette approche sans fioriture est en accord avec la recherche de simplicité, de formules réduites et transparentes. Quels qu’ils soient, les codes couleurs fonctionnent lorsqu’ils illustrent une vision globale qui unit les valeurs de la marque, de son univers, de ses produits et de sa communication », insiste Sarah Balcon.

Véhiculer un message

En pharmacie, le beau minimaliste fusionne avec le blanc immaculé toujours efficace pour véhiculer une idée de sérieux et de performance, sans cibler un genre plus que l’autre. C’est ainsi que SVR a réussi avec ses Ampoules, petits flacons de verre aux étiquettes blanches, à concilier sérieux et esthétisme contemporain.

C’est aussi le blanc clinique qu’a adopté majoritairement le Dr Olivier Courtin-Clarins pour les packagings de MyBlend, marque qu’il a relancée l’an dernier. « Notre design sert plusieurs messages. Le blanc symbolise le soin, l’efficacité, la pureté de cette gamme courte aux formules clean. Nous l’avons associé au grège, qui apporte une touche organique, un message de respect de la peau et e la planète », résume Suzy Lebert, la directrice de la marque. Les différentes nuances de beige et marron sont des couleurs en train de s’installer. « Elles peuvent embrasser la notion de gourmandise ou, c’est plus nouveau, un côté naturalité, humus, terre, fermentation, énorme tendance de fond en cosmétique. Et ces tons ont l’avantage d’être non-genrés », commente Sarah Balcon.

Sur ce terrain, la marque de soins et compléments alimentaires Aime s’est déjà bien imposée. Ce n’est ni le brun, ni le blanc, ni la couleur vive qu’a sélectionnés Mélanie Huynh pour les soins de sa marque Holidermie mais du gris, décision audacieuse mais là encore bien réfléchie. « La marque s’adressait initialement aux citadines, j’ai donc choisi un gris béton pour le côté urbain, chic et graphique. Je voulais un design sobre et élégant, proche de mon esthétique liée à de nombreuses années passées dans la mode », témoigne l’entrepreneuse. Si le béton peut sembler froid, il est réchauffé par le toucher très doux des packs au fini mat ou « soft touch« .

Qu’il s’agisse d’Holidermie ou d’Ulé, pour les compléments alimentaires beauté, les deux marques ont fait le choix rassurant du rose tendre, couleur devenue incontournable en cosmétique, que Frédérique Pétorin, autrice du livre Soigner ses émotions par les couleurs (Éd. Le Courrier du Livre), relie à la chair, au soin et à la douceur que l’on se porte à soi-même, une couleur qui nous ouvre une porte vers l’intime et le mieux-être.

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