06/01/2023
  • Les influenceurs et autres créateurs de contenus sont de plus en plus visibles sur le tapis rouge de Cannes.
  • Loin d’éclipser les stars de cinéma, ces nouveaux venus apportent d’autres avantages au festival comme aux marques.
  • Ces célébrités ne jouent pas dans la même cour, mais toutes sont complémentaires pour faire vivre le festival.

Lena Situations sévèrement attaquée sur son physique au pied des marches du Festival de Cannes. Est-ce uniquement pour ses formes arrondies ou parce qu’elle a osé parader dans la robe Westwood portée trente ans auparavant par la mannequin Naomi Campbell ? Crime de lèse-majesté : Léna Mahfouf de son vrai nom, n’est pas mannequin et encore moins une star de cinéma. Quand même, c’est une célébrité. Et pas n’importe laquelle avec ses 4 millions de followers sur Instagram et ses 2,5 millions d’abonnés à sa chaîne sur You Tube. Comme elle, les influenceurs Théodort, Cyprien, Mastu, Poupette, Libellule sont à Cannes, provoquant, dès qu’ils apparaissent sur un écran, la liesse de leurs fans en même temps que l’ire de ceux qui estiment que ces personnalités n’ont rien à faire là.

« Ce ne sont que des portemanteaux qui se font payer par les marques », estime Cynthia, 45 ans, vendeuse dans un magasin cannois. Mathilde, 60 ans, cliente de la boutique, n’a jamais entendu parler de ces « fausses vedettes » quand on lui cite leurs noms. « Catherine Deneuve sur l’affiche du festival cette année, ça, c’est une star, s’enthousiasme-t-elle. Les autres, c’est du nivellement par le bas ! » Alors, qui sont ces « influenceurs » qui semblent avoir envahi le festival depuis que Tik Tok et Brut se partagent le partenariat média du festival avec France Télévisions ?

Créateurs de contenus ou influenceurs

« Déjà, il faut bien faire la distinction entre les influenceurs et les créateurs de contenus, nuance Mehdi Omaïs, critique de cinéma qui se situe aujourd’hui dans la seconde catégorie avec 80.000 abonnés tous supports confondus. Le jeune homme parle de films et réalise des interviews afin de partager sa passion pour le 7e art. « Beaucoup d’influenceurs ne montent les marches que pour se montrer et faire la promotion de marques, mais ne s’intéressent pas au cinéma, soupire-t-il. Alors que nous, nous bossons comme des brutes pour essayer d’assister aux projections, filmer et monter des sujets. Nous ne faisons pas le même métier ! »

Autre créateur de contenu présent à Cannes, Hugo Travers d’Hugo Décrypte n’est pas spécialisé en cinéma à l’année. Il commente l’actualité et s’attaque à des sujets aussi divers que la politique ou le sport de façon sérieuse et informée. « Je me vois plus comme un créateur de contenus qui fait travailler une grosse équipe pour livrer des vidéos fouillées d’interviews ou d’analyse », explique-t-il. Son objectif : faire découvrir les festivals à des abonnés qui ne sont pas d’office des cinéphiles, pendant que son collègue Mehdi Omaïs s’adresse, lui, à un public de niche déjà amoureux du 7e art.

De nouveaux partenaires

« Le Covid 19 a fait connaître de nouveaux noms venus des réseaux sociaux pendant le confinement. Cela s’est répercuté à Cannes après la pandémie, surtout en 2021 quand les stars se faisaient tirer l’oreille pour revenir », insiste Daniela Estner, directrice générale d’Unifrance, une organisation qui défend le cinéma français à l’étranger. Elle a appris à compter avec ces nouveaux partenaires.

« Nous avons pris la mesure de l’importance des influenceurs, explique-t-elle. Ils sont particulièrement importants auprès des jeunes. Ils sont devenus complémentaires de la presse traditionnelle en attirant un public différent au cinéma. » Et de se souvenir d’un youtubeur brésilien qui faisait la promotion de l’opération My French Cinema avec une baguette sous le bras et un béret sur la tête. « Nous préparons un événement avec des gamers en créant une salle virtuelle dans l’univers du jeu Minecraft. Nous ferons gagner des billets de cinéma et espérons que cela attirera des jeunes dans les salles. »

Du point de vue des marques, même son de cloche. « On sait que les influenceuses d’aujourd’hui peuvent devenir les stars de cinéma de demain, même si elles rejoindront alors des marques plus connues que la mienne », précise le styliste Guillaume Guillarmé. Toujours considéré comme un jeune créateur, alors qu’il est présent depuis plus de vingt ans à Cannes, il continue de prêter des tenues à des jeunes femmes, pas forcément toutes connues, mais qui l’aident à faire connaître ses robes. « Nous jumelons parfois nos comptes sur les réseaux sociaux », s’amuse-t-il.

Les stars toujours présentes

« Je n’ai pas l’impression que les influenceurs soient plus nombreux cette année que les précédentes, estime Pierre Zéni, de Canal+, qui commente chaque montée des marches. Je ne crois pas non plus qu’ils éclipsent les stars de cinéma pour le public qui regarde le tapis rouge. » Il est vrai que cette année, les stars, les vraies, les hollywoodiennes, n’ont pas manqué : Johnny Depp, Michael Douglas, Harrison Ford, Ethan Hawke, Cate Blanchett, Robert DeNiro, Leonardo DiCaprio, Tom Hanks, Scarlett Johansson… éclipsant à chaque fois les personnalités moins connues aux yeux d’un public venu les acclamer.

« Les influenceurs d’aujourd’hui me font surtout penser aux vedettes de la téléréalité d’il y a quelques années, qui avaient elles-mêmes remplacé les footballeurs dans les années 2000, les top models dans les années 1980 et les starlettes dans les années 1960 », précise Nathalie Dubois-Sissoko, la fondatrice, il y a vingt ans, des Suites cadeaux qui mettent en contact de jeunes marques avec des célébrités plus ou moins connues. « On ne peut pas comparer Sharon Stone à une fille que sa communauté regarde manger des nouilles sur les réseaux sociaux. Je peux les recevoir toutes les deux dans mes suites, mais les marques, qui sont mes clients, ne leur offriront pas les mêmes produits. »

20 Minutes se souvient aussi de l’étonnement, en 2016, quand Instagram s’est mis à dévoiler les coulisses du festival comme on ne les avait jamais vues. C’était il y a seulement sept ans. Alors, Cannes, nouveau fief des influenceurs ? Un peu, sans doute, car les caméras ont toujours eu besoin de jolies filles et de beaux garçons. Mais pas seulement. Car si les grands noms du 7e art sont toujours les rois du plus grand festival de cinéma au monde, les nouveaux venus ont au moins le mérite d’apporter une bouffée d’air frais à un univers tenté par l’entre-soi.

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