Elle a 23 ans et lutte depuis la moitié de sa jeune existence. Dans son pays, la Guinée, 95% des femmes âgées entre 15 et 49 ans ont subi l’excision. Hadja Idrissa Bah en fait partie.
Avec l’ONG qu’elle a fondée et qui fédère des centaines de jeunes filles guinéennes, et l’association de solidarité internationale Equipop, dont elle est membre du Conseil d’administration, cette étudiante en communication et chroniqueuse sur les ondes de RFI sensibilise, sans relâche, aux risques qu’encourent les femmes victimes de mutilations génitales. Des risques qui les rattrapent, tout au long de leur vie.
Elle milite aussi contre d’autres violences basées sur le genre, comme les mariages forcés et précoces, qu’elle a plusieurs fois su arrêter à temps en menant des actions courageuses de terrain. Interview.
Le témoignage de Hadja Idrissa Bah
Marie Claire : Vous avez été victime d’excision à l’âge de 8 ans. Que s’est-il passé ? De quoi vous souvenez-vous ?
Hadja Idrissa Bah : C’était le jour des grandes vacances à l’école primaire. Nous rentrions chez moi, avec ma cousine, ravies. Ma mère nous a annoncé que l’on partirait le lendemain chez notre tante, une sœur de mon père qui habitait dans une maison d’un autre quartier de Conakry. Nous étions excitées de ce changement de cadre. Nous partions en vacances pour la première fois.
Nous n’avions pas eu droit à une anesthésie. Ses lames n’étaient pas non plus stérilisées. Les tissus utilisés pour bloquer l’hémorragie étaient des vêtements usés et sales.
Je me souviens que mes parents nous ont demandé de nous coucher tôt. Ils avaient un agenda prévu pour nous que nous ignorions encore. Ils nous ont réveillé aux alentours de cinq heures du matin et nous ont demandé d’aller uriner.
Dès que nous sommes sorties des toilettes, ma tante nous a ordonné de la suivre. Il faisait encore sombre, le matin ne s’était pas levé. Nous avons marché, longtemps – cela me paraissait interminable – jusqu’à la maison d’une vieille dame effrayante.
Au centre de son salon, il y avait une table en bois. L’exciseuse nous a demandé de retirer nos pagnes, et de nous étaler sur la table, parce qu’elle devait « passer à l’action ». Nous n’avions pas eu droit à une anesthésie. Ses lames n’étaient pas non plus stérilisées. Elle a utilisé le même instrument à la suite, pour ma cousine puis pour moi. Les tissus utilisés pour bloquer l’hémorragie étaient des vêtements usés et sales.
Ils m’ont attachée, mutilée, j’ai pleuré aussi. Puis ils nous ont dit : « À partir de maintenant, vous ne vous regardez plus, vous ne vous courbez plus, vous ne vous touchez plus ».
J’ai refusé de passer en première. J’ai vu ma cousine être attachée, pleurer de douleur. Puis ce fut à mon tour. Je n’avais pas le choix, j’avais 8 ans. J’étais enfermée dans cette maison. J’étais apeurée par ce que je venais de voir. Ils m’ont attachée, mutilée, j’ai pleuré aussi. Puis ils nous ont dit : « À partir de maintenant, vous ne vous regardez plus, vous ne vous courbez plus, vous ne vous touchez plus ».
J’ai vu la vielle dame prendre nos clitoris qu’elle venait de couper, et les poser sur des tôles, à côté d’autres qu’elle faisait sécher, certainement à des fins commerciales ou de sorcellerie.
Après l’excision, nous avons vécu un mois chez notre tante, le pire de ma vie. C’est la « tradition » : une fille ne peut pas retourner chez elle tant qu’elle n’est pas guérie.
Je me souviens de ma honte de ne pas pouvoir me laver moi-même, à cause de la plaie. Je n’ai pas envie de repenser à la douleur que j’ai ressentie la première fois que je suis allée aux toilettes.
Quelles conséquences ces violences subies à 8 ans ont-elles sur votre vie actuelle ?
L’excision est un traumatisme à vie. À chaque fois que je le raconte, j’ai l’impression de revivre cette scène et de ressentir la douleur.
Quelle que soit la réparation physique qui peut être faite, on ne pourra jamais réparer un esprit abîmé par un tel traumatisme.
Quelle que soit la réparation physique qui peut être faite, on ne pourra jamais réparer un esprit abîmé par un tel traumatisme. En plus de celui-ci, je suis aujourd’hui encore poursuivie par des complications de santé, des infections liées aux habits usés utilisés pour couper l’hémorragie.
Sauver des fillettes de cérémonies d’excisées et de mariages forcés
Vous vous engagez contre les violences faites aux enfants, et celles basées sur le genre, visant à contrôler les droits sexuels et reproductifs des femmes, dès vos 12 ans. De quelles manières et pourquoi ?
M’engager à 12 ans était pleinement ma mission. Je fus la première personne de ma famille à être scolarisée. J’avais quelque chose à défendre, pour mes petites sœurs et les petites filles de mon quartier.
Je suis devenue présidente du parlement des Enfants de Guinée. Mais l’institution est sous tutelle du gouvernement. Je ne voulais plus qu’on me dise quoi dire quand je savais quelles étaient nos réalités, alors, j’ai fondé en 2016 le club des jeunes filles leaders de Guinée, dont je suis aujourd’hui présidente-fondatrice.
J’ai mobilisé des centaines jeunes filles, âgées de 11 à 24 ans. Nous avons relevé de nombreux défis en nous engageant contre l’excision, le mariage forcé et précoce, les viols conjugaux, les difficultés de certaines familles polygames.
Elles ne savaient même pas qu’elles avaient des droits. Parce qu’on nous a toujours appris : « Quand vous atteindrez l’âge de la puberté, vous vous marierez ».
Nous nous sommes rebellées dans la rue, avons mené de nombreuses actions de sensibilisation, au cours desquelles nous avons rassuré les jeunes filles, leur affirmant que nous serions là pour elles si leurs droits étaient menacés. Mais elles ne savaient même pas qu’elles avaient des droits. Parce qu’on nous a toujours appris : « Quand vous atteindrez l’âge de la puberté, vous vous marierez ». Une jeune fille sur deux en Guinée est mariée avant sa majorité.
Certaines nous contactent pour qu’on les sauve le jour-même de la cérémonie du mariage. Nous prévenons la police. Parfois, elle ne nous suit pas, ne bouge pas, alors que nous avons la loi avec nous, puisque le code pénal et le code de l’enfant guinéens interdisent les mariages avec des personnes de moins de 18 ans. Notre technique est aussi d’alerter les médias, puis de filmer la scène de notre intervention, et de la partager sur les réseaux sociaux.
Plusieurs autres fois, dans les villages, nous avons mis fin à des cérémonies d’excision en groupe, d’une trentaine de jeunes filles par exemple. À Conakry, j’ai alarmé à plusieurs reprises la police, mais elle ne m’a jamais accompagnée.
Nous avons pris tous les risques, fait face à toutes les formes de pressions dans les quartiers, pour sauver ces victimes. Plusieurs années après nos actions pour empêcher le mariage de leur enfant, des familles nous menacent encore.
Toutes les filles du club ont une histoire : elles ont été victime d’un mariage forcé, précoce, d’excision. Nous menons le combat avec le cœur car nous avons vécu la douleur dans notre chair.
Quels sentiments vous animent aujourd’hui ?
Je suis en colère. C’est difficile de ne pas être comprise. En Guinée, une partie de l’opinion estime que l’excision n’est pas un combat légitime comme peut l’être à ses yeux les viols ou les mariages précoces.
Je suis épuisée par le harcèlement en ligne que je subis.
Je suis aussi en colère que l’on se glorifie de la baisse du pourcentage de Guinéennes âgées de 15 à 49 ans qui ont été victimes de ces mutilations génitales. Nous sommes passées de 97% de femmes excisées en Guinée à 95%, c’est presque rien, et nous demeurons le deuxième pays dans le monde, derrière la Somalie, le plus touché par cette pratique.
Mais je ressens aussi de l’espoir, grâce à la nouvelle génération. Jamais je ne ferais exciser mon enfant. Nous devons protéger les futures petites filles et briser la chaîne. J’y crois.
Enfin, je suis épuisée par le harcèlement en ligne que je subis. Je suis la cible d’internautes qui ne sont pas d’accord avec mon combat. On m’accuse de me faire de l’argent avec celui-ci, d’être manipulée par la France. On me traite de féministe, comme si cela était une insulte, de traître, d’enfant mal-éduqué, on affirme que je ne suis pas digne d’être une Peul. Ça choque que ce soit une fille de cette communauté très conservatrice sur cette pratique qui se lève pour l’abolir. Ça dérange. Comme ça dérange qu’une femme ait des droits sur son corps, le connaisse et le contrôle. Alors, on la mutile.
- Diene Keita, des Nations Unies : "Une grossesse non intentionnelle peut entraîner un mariage forcé"
- Nice Nailantei Leng’ete, la militante maasaï qui a sauvé des milliers de fillettes de l’excision
Crédit photo : association « Loba – La danse comme thérapie, pour l’empowerment des femmes »
Source: Lire L’Article Complet