05/29/2023

Dans "Une fille facile", en salle le 28 août, Rebecca Zlotowski tisse dans un cadre cannois une nouvelle image de la cagole au travers de ces deux personnages féminins. Zahia Dehar y signe un premier grand rôle.

Dans le nouveau film de Rebecca Zlotowski (Belle Epine, Grand Central, Planétarium), Zahia Dehar, l’ex-call girl, devient l’héroïne d’un conte d’été qui se déroule à Cannes, aux étranges ressemblances avec sa vie publique. Elle y séduit un homme très riche dont le yacht mouille au bord de la croisette. Elle vit chez sa petite cousine Naïma, à qui elle va faire découvrir un nouvel imaginaire sexuel.

Hypnotisante Zahia

Le film s’ouvre sur un plan en plongée sur le bleu lagon de la mer méditerranée. On voit alors une silhouette nager qui entre dans le bord droit du cadre. Très vite la caméra se rapproche du corps de Zahia, l’eau qui perle sur ses seins nus, ses fesses rebondies à peine couvertes d’un bas de maillot. La cinéaste nous autorise, voire nous oblige, dès les premières secondes de son film à nous rincer l’œil.

Que regardons-nous ? Le corps d’une call girl découverte il y a dix ans dans un scandale sexuel ? Un corps à la plastique hors-norme comme celui d’une poupée Barbie ? Le corps d’une jeune femme qui a appris que le féminin était avant tout une performance et qui a su l’utiliser à son avantage ? Ou la naissance d’un corps de comédienne ? 

Rebecca Zlotowski tisse dans ce cadre cannois une nouvelle image de la cagole au travers de ces deux personnages féminins.

Rebecca Zlotowski tisse dans ce cadre cannois une nouvelle image de la cagole au travers de ces deux personnages féminins. Naïma, 16 ans, réussit en un été à s’affirmer et à donner son avis sur ce qu’elle pense et ce qu’elle désire, et cela non pas au contact d’un amoureux mais de sa cousine. C’est une histoire d’émancipation, d’une jeune fille qui comprend qu’elle n’a finalement pas besoin de séduire pour se trouver. Mais cette trajectoire-là finalement passe au second plan tellement le corps de Zahia crève l’écran. La caméra de Zlotowski semble à la fois hypnotisée et amusée de lui créer un nouvel avatar avec le personnage de Sofia. 

Un film surréaliste

Le regard de Zlotowski est peut-être le contraire de celui de Sciamma. Là où dans Le portrait de la jeune fille en feu, chaque plan révèle que la cinéaste sait exactement ce qu’elle veut dire et tient son idée de bout en bout en dessinant une passion lesbienne dans le cadre très formel des films de costumes, Zlotowski laisse sa caméra errer dans plusieurs univers et joue de la juxtaposition des éléments.

Une fille facile pourrait être qualifié de film surréaliste, où le sens ne découle que de la poésie de visions qui se chevauchent. C’est comme si on pouvait accéder à plusieurs couches de l’imaginaire de la cinéaste. Un imaginaire venant de la Nouvelle Vague, les fermetures à l’iris rappelant le style de Truffaut, Sofia emprunte à Bardot son style et sa diction. Zlotowski revendique aussi l’héritage rohmérien du film, dans la lignée d’un conte moral.

À toutes ces références cinéphiles classiques se percutent un imaginaire sexuel, des images rappelant le male gaze classique (lorsqu’on voit Sofia à travers le regard du milliardaire la première fois), à des images plus contemporaines, lorsque la sexualisation est orchestrée par Sofia elle-même. Elle dit à un homme qui la mate qu’elle est très douce car elle vient de se faire épiler le sexe, elle prend alors sa main pour qu’il touche sa peau soyeuse à la plage, la caméra suit le doigt de Sofia descendant sur son ventre comme si c’était elle qui dirigeait le regard de la caméra. Mais il y a aussi le regard de sa cousine qui voit Sofia nue dans son rêve, révélant son sexe épilé, mais aussi lorsqu’elle entrouvre la porte de la cabine du yacht où Zahia caresse la raie des fesses poilues de son amant, avant qu’il ne la retourne.

Nous ne vivons pas l’expérience de Sofia, nous la regardons avec fascination.

La question du male gaze se trouve complexifiée car ce sont dans la majeure partie des femmes, Naïma ou Sofia elle-même, qui regardent son corps et qui éprouvent du plaisir à la regarder. Sofia contrôle son image, c’est elle qui gère sa sexualisation et elle prend du plaisir en le faisant. Mais sommes-nous dans un female gaze où nous ressentons l’expérience des héroïnes ? Non. Le personnage de Naïma est trop secondaire pour vraiment comprendre ce qu’elle traverse et s’attacher à son ressenti. Quant à Sofia, on a accès par bribes à ses déceptions, mais comme la cinéaste filme une performance, le regard de Zlotowski s’attarde plus sur la construction du féminin que sur ce que Sofia ressent en incarnant ce mythe de femme. Nous ne vivons pas l’expérience de Sofia, nous la regardons avec fascination.

De Duras à Zahia

Rebecca Zlotowski nous interroge sur les préjugés de spectateur.trice qui nous accompagnent face à cette femme qui a l’air si à l’aise avec sa sexualité, qu’on la prend pour une idiote. Quand Sofia clame que son autrice culte est Marguerite Duras et que son livre préféré change selon ses humeurs révélant sa plus profonde intimité (hier c’était La Douleur, aujourd’hui c’est L’amant) on se dit qu’encore une fois la réussite du film vient de cet entrechoquement des imaginaires. On a du mal à imaginer Sofia lisant le journal de Duras attendant que son mari Robert Antelme rentre des camps dans La Douleur.

Et puis on se dit qu’il vaut mieux rire de nos idées préconçues, la cinéaste est de toute façon plus maligne que nous. Sofia est orpheline de mère, peut-être que le personnage a lui-aussi connu la douleur du deuil. Peut-être que Sofia, comme Zahia, avec son corps presque trop féminin, a mieux compris l’Amant que tout le monde. 

Au final, on se dit qu’une Fille Facile possède effectivement la chaleur et la langueur des étés et que Zahia, comme Bardot, a su créer une image de femme sur laquelle nous pouvons projeter nos attentes, nos rêves, nos jalousies et nos frustrations. Zlotowski y pose son regard et ses fantasmes avec facétie et intelligence en nous faisant croire que son portrait est aussi léger qu’un amour de vacances. Mais comme on le sait si bien, les amours de vacances eux aussi laissent des traces et les images du souvenir sont parfois beaucoup plus retorses qu’elles ne paraissaient au premier abord.

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