De New York à Paris, les initiatives fleurissent pour rendre les semaines de la mode plus responsables sur le plan écologique.
170 arbres de 60 espèces, provenant de différentes pépinières de France, d’Allemagne et d’Italie : c’est dans ce décor bucolique conçu comme une ode à la nature que la maison Dior a accueilli ses invités à l’hippodrome de Longchamp pour son défilé printemps-été 2020, fin septembre. Une installation éphémère imaginée par la directrice artistique, Maria Grazia Chiuri, en collaboration avec le collectif de paysagistes urbains écoresponsables Coloco. L’ensemble des arbres acquis par Dior sera replanté dans les semaines qui viennent en région parisienne. Les planches en bois utilisées pour les gradins ainsi que les 4 500 mètres carrés de tissu ont été offerts à l’association La Réserve des arts et seront intégralement recyclés. L’électricité nécessaire au bon déroulement du défilé a, quant à elle, été produite par des groupes électrogènes fonctionnant au colza.
À l’heure où la jeune activiste suédoise Greta Thunberg s’époumone pour alerter les dirigeants politiques de la planète sur le réchauffement climatique, les acteurs des fashion weeks à travers le monde, de plus en plus conscients de leurs responsabilités et de l’impact de leurs shows sur l’environnement, font preuve désormais d’une bonne volonté « green ». La maison Chanel, réputée pour ses mises en scène grandioses sous la nef du Grand Palais, à Paris – paquebot géant, fusée prête à décoller… -, attache ainsi une attention particulière au recyclage des décors. « Nous demandons à nos partenaires de privilégier l’écoconception pour leurs matériaux. Et nous avons recours à la location pour les éléments de structure, afin qu’ils puissent resservir dans d’autres occasions », explique-t-on en interne.
Vers une mode plus responsable
Début juillet, le Conseil suédois de la mode avait frappé un grand coup en annonçant l’annulation pure et simple de la fashion week de Stockholm, prévue comme chaque saison à la fin du mois d’août. « Le format actuel des semaines de défilés est complètement dépassé. L’industrie de la mode est dans une situation critique parce que la planète est dans une situation critique. C’est aussi simple que cela. Le changement doit être immédiat. Essayer d’imaginer un événement écoresponsable n’aura aucun effet si l’industrie dans sa globalité ne l’est pas », justifie Jennie Rosén, présidente du Conseil suédois de la mode. À Londres, Extinction Rebellion – le mouvement de désobéissance civile qui lutte contre le réchauffement climatique – a sommé le British Fashion Council d’annuler la fashion week. À défaut d’être entendus, ses militants ont manifesté bruyamment aux abords des défilés, entamant une « marche funéraire » pour enterrer symboliquement la mode et prendre à témoin les invités sur ses répercussions environnementales.
Une série d’éclats médiatiques qui pousse les acteurs du secteur à agir sans plus attendre pour plus de transparence. Ainsi, le British Fashion Council a annoncé très vite la création d’un département baptisé « Positive Fashion », chargé de réfléchir à une mode plus responsable écologiquement et plus à l’écoute en matière d’égalité et de diversité. La créatrice Gabriela Hearst avait ouvert le bal début septembre, à New York, en indiquant que son show était neutre en carbone. Idem pour Burberry, dont toutes les émissions carbone ont été compensées. À Milan, la maison Gucci (propriété du groupe Kering) a fait, elle, de son défilé un enjeu central. Dans une interview accordée peu de temps auparavant au magazine britannique « Dazed & Confused », son président, Marco Bizzarri, n’hésitait pas à entrer dans les détails : « Le bois recyclé et le papier certifié par le Forest Stewardship Council seront utilisés pour la fabrication du décor et des invitations. En parallèle, les émissions de CO2 induites par les voyages en avion et les déplacements des 1 000 invités, des 900 techniciens, des mannequins, du personnel de production et des employés de Gucci seront compensées. » Une pratique qui permet aux entreprises d’équilibrer leur empreinte carbone en investissant dans des projets respectueux de l’environnement. Dans la foulée et dans la continuité du Fashion Pact signé en marge du sommet du G7, à Biarritz, fin août, le groupe Kering s’est engagé à atteindre prochainement la neutralité carbone pour l’ensemble de ses activités. LVMH n’est pas en reste qui, après avoir réduit de 16 % ses émissions de CO2 depuis 2013, vise moins 25 % d’ici à 2025. Le groupe a rédigé, par ailleurs, une charte relative au bien-être animal et à l’approvisionnement de ses matières premières, et a noué récemment un partenariat avec Stella McCartney, pionnière dans la mode éthique et durable.
Quid de l’avenir des Fashion Weeks ?
Selon Stéphanie Calvino, fondatrice de la plateforme Anti_Fashion qui milite pour une industrie responsable, si réclamer l’annulation des fashion weeks est excessif, il existe cependant des solutions pour réduire leur impact : « Lorsque Chanel a ouvert sa maison, au début du XXe siècle, les défilés dans ses salons étaient indispensables pour présenter ses créations à ses clientes. Aujourd’hui, les multiples canaux de diffusion sur Internet ou les réseaux sociaux permettent d’envisager de nouvelles façons de communiquer pour les marques. Un défilé implique non seulement une forme de pollution, mais également des coûts faramineux. Les jeunes créateurs font souvent l’impasse, faute de moyens. Pourquoi ne pas imaginer que des grandes maisons mettent à leur disposition leur podium, comme une première partie lors d’un concert ? » Si du côté de la Fédération de la haute couture et de la mode parisienne, l’annulation des fashion weeks de la capitale mondiale de la mode n’est pas envisageable, des dispositions ont été prises. « Il est difficile de quantifier les répercussions environnementales de l’événement, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, explique Pascal Morand, président de la fédération. Mais des mesures concrètes sont possibles. Nous avons déjà mis en place une mobilité verte à 75 % pour nos accrédités, via des bus ou des scooters électriques. Et lancé l’application Paris Fashion Week pour remplacer notre guide papier. Nous réfléchissons, par ailleurs, à une méthodologie d’accompagnement écoresponsable à destination des marques ainsi qu’à l’élaboration d’un lexique ‘Mode et développement durable’ qui facilitera le travail de chacun. Quand on est leader, comme Paris, il faut être d’autant plus attentif et proactif. » Si la fédération confirme le sentiment d’urgence ressenti par tous les acteurs de la semaine de la mode parisienne, elle souligne l’engagement des jeunes générations. « Les créateurs souhaitent aller dans le sens d’une industrie responsable et consciente de son impact environnemental », insiste Pascal Morand. Ainsi, la styliste Marine Serre ne cesse d’interpeller sur la crise climatique à travers ses shows et ses créations. Son défilé printemps-été 2020, baptisé « Marée noire », imaginait le futur d’une poignée de survivants après l’apocalypse. Plus de 50 % de la collection étaient issus de la technique de l’upcycling, qui consiste à créer des vêtements à partir de chutes de tissu. Une démarche également plébiscitée par Christelle Kocher pour ses collections sous la marque Koché et adoptée par Clare Waight Keller, chez Givenchy, pour une série de pièces en jean.
Si l’industrie de la mode et du luxe est prête à assumer ses responsabilités concernant les défilés, il n’en reste pas moins que c’est un business très florissant. Selon la fédération, les fashion weeks de Paris génèrent chaque année pas moins de 10,45 milliards d’euros de retombées directes pour les marques et créent 5 000 emplois à temps plein. « Les défilés sont importants pour l’industrie, ce sont des moments uniques où toute la communauté se retrouve et échange. Les créateurs en ont besoin pour faire vivre et pérenniser leurs entreprises. En outre, rien ne remplacera les sensations, les émotions que peut procurer un show en temps réel », plaide Pascal Morand. Paris sera toujours Paris…
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