Voilà trente ans que Paris accueille chaque année le Festival international du film lesbien et féministe. Cinéffable, festival de films de réalisatrices « pour les lesbiennes, par les lesbiennes » a vu le jour en 1989, issu d’un ciné-club créé par des lesbiennes parisiennes. Il se déroule cette année du 31 octobre au 3 novembre à l’Espace Reuilly dans le 12e arrondissement de Paris,
en non-mixité. Au
programme de ces quatre jours :
des films, bien sûr, longs et courts-métrages, documentaires et oeuvres de fiction du monde entier, et même une séance « Q » le samedi soir. Mais les bénévoles de l’association Cinéffable organisent aussi des ateliers, des rencontres avec les réalisatrices et des signatures d’autrices avec les éditions Homoromance et la librairie Violette & Co.
Mais que signifie exactement un «film lesbien et féministe» ? Marie-Anne, bénévole de la commission Communication de l’association, et Carole, de la commission Programmation, ont expliqué à 20 Minutes les critères de sélection du film et la raison d’être du festival.
Un festival du « film lesbien et féministe », qu’est-ce que c’est ? A quoi ça sert ?
Carole : Cette notion est très protéiforme selon les équipes du festival. Nous accueillons tous les ans de nouvelles membres, donc Cinéffable est un peu différent chaque année. Le principe est toutefois toujours le même : des intervenantes, et des films réalisés par les femmes. L’idée est de visibiliser le travail des femmes, qui ne bénéficient par des mêmes canaux de distribution que les hommes. Le festival permet par ailleurs à toutes ces femmes de se rencontrer entre elles, de réseauter.
Marie-Anne : J’ai 50 ans, je me suis donc construite en tant qu’adolescente dans un monde où je n’avais pas de représentation de moi-même. Dans les années 1980, il n’y avait pas de film lesbien, et les livres ou les autres formes d’art n’en parlaient pas. Je ne me voyais pas. Cinéffable a justement été créé pour que les lesbiennes puissent se voir, qu’elle puissent construire leur propre image pour elle-même. Heureusement, les jeunes générations ont plus de matière, il y a
un peu plus de personnages LGBT dans les séries, dans les livres,
dans les films. Mais c’est souvent fait par des hommes hétérosexuels et ça ne donne pas le même regard sur ce que peut être une relation lesbienne ou une vie en tant que lesbienne. En tant que femme, je n’ai pas la même place qu’un homme, j’ai moins de privilèges, et donc pas le même regard sur le monde. Les réalisatrices que nous projetons apportent ce petit pas de côté par rapport aux films réalisés par des hommes. Par ailleurs, quand je vais voir un film avec une relation lesbienne dans un cinéma grand public, il y a souvent des réactions gênées, voire dégoûtées du grand public, face à un baiser entre deux femmes. Dans un festival comme celui-ci, on n’a pas à s’inquiéter de la réception.
Est-ce que tout film réalisé par une lesbienne est « lesbien » ? Ou est-ce une question liée aux thèmes abordés ?
M-A : On ne demande jamais à une réalisatrice si elle est hétérosexuelle ou lesbienne, on ne regarde que l’œuvre. Ce sont vraiment le film, ses thématiques – qui doivent être féministes et/ou lesbiennes – et le point de vue que la réalisatrice propose qui vont nous permettre de retenir le film. Chaque année, on sélectionne des regards nouveaux, ou qui collent à l’actualité : cette année, par exemple, il y a beaucoup de films d’Amérique latine parce que les mouvements féministes y vivent un moment important.
C : Nous avons fait face à un changement de paradigme. Avant, la représentation était tellement inexistante qu’il suffisait qu’un film ait deux personnages lesbiens. Aujourd’hui, la production est de plus en plus importante, dans le monde entier, il faut sélectionner. On voit plusieurs centaines de films, pour en retenir une cinquantaine. Tous les ans, c’est un crève-coeur de ne pas en montrer certains.
La programmation contient-elle aussi des « archives » du cinéma lesbien et féministe, des films plus anciens ?
C : Pour les films qui ont plus d’une dizaine d’années, il y a souvent un problème de support qui rend la diffusion difficile. Nous avons parfois des séances « rétrospectives », mais ce sont surtout des films sortis dans l’année, ou qui n’ont pas du tout été vus en France. Et il y a peu de vieux films sur les thématiques lesbiennes : c’était extrêmement tabou. Par contre, nous avons diffusé des documentaires féministes très intéressants sur les pionnières du cinéma. Dans les premières années du cinéma, les films étaient autoproduits, ce qui a permis aux femmes d’émerger. Beaucoup ont été pionnières dans les techniques, elles n’hésitaient pas à travailler dans des conditions difficiles. Mais avec la formation des studios de cinéma, il y a eu une normalisation du cinéma et elles ont été effacées. Aujourd’hui des doctorantes, des documentaristes remettent ces pionnières du cinéma en lumière. Et les femmes qui sont dans l’industrie du cinéma
essayent de lutter pour revenir sur
le devant de la scène.
Quelle place le cinéma lesbien occupe-t-il dans le cinéma LGBT en général ?
C : Il a peut-être une place particulière, car qui dit lesbien dit femmes. On est à une intersection d’oppression en tant que femme et lesbienne. Notre ligne éditoriale est là d’ailleurs : nous avons à la fois des œuvres uniquement lesbiennes, d’autres uniquement féministes, et beaucoup d’oeuvres transverses. On en voit de plus en plus, la convergence des luttes transparaît dans le cinéma.
Le fait d’être perçu comme « lesbien » ou « queer » peut-il compliquer la vie d’un film en salles ou en festival ?
M-A : Bien sûr ! Parfois, ça la complique tellement que le scénario est remanié en amont pour changer une amante en amant – ça se fait encore beaucoup, même dans un film sorti cette semaine par exemple.
C : Et dans certains festivals, il y aura UN film LGBT, la caution de la diversité. On voit ça avec toutes les minorités opprimées. Je pense que
l’émergence de festivals dédiés à certaines thématiques est en grande partie dû à ces difficultés.
Cette année, plusieurs films grand public mettaient en scène des histoires d’amour lesbiennes, mais la plupart étaient réalisés par des hétéros. Est-ce qu’il est plus compliqué d’être une lesbienne qui parle de lesbiennes ?
C : Oui. Le sujet est à la mode, donc des gens qui ont accès aux réseaux vont s’en emparer. C’est positif parce que ça visibilise les lesbiennes, mais elles ne sont pas au premier plan. Il y a doucement une émergence de lesbiennes qui parlent de lesbiennes, mais en France il est compliqué de citer beaucoup de noms après Céline Sciamma, par exemple. Je pense que ça se joue très tôt, au niveau des financements, de l’accès aux contacts. Céline Sciamma
sort de la Fémis : son talent est indéniable, mais elle a aussi eu accès à un réseau important. La racine du problème est là : a-t-on accès aux formations, aux écoles, et donc au réseau ? Cela découle de discriminations, qu’en tant que femmes et lesbiennes on retrouve à toutes les étapes de notre vie.
Programmation
Une fiction italienne sur le parcours d’un couple de lesbienne pour avoir un enfant (Mamma + Mamma, Karole Di Tommaso), un film historique sur les amours de la poétesse américaine Emily Dickinson avec son amie d’enfance Susan Gilbert (Wild Night with Emily, Madeleine Olnek), un documentaire sur la sexualité des femmes en prison (Prison Gouines, Cecilia Montagut) ou un autre sur les luttes des femmes des favelas d’Argentine et de Bolivie (Ni les femmes ni la terre !, Marine Allard, Lucie Assemat, Coline Dhaussy)… Et bien d’autres. Les films sélectionnés ont tous un point en commun : ils ont été réalisés par des femmes.
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